Numéro 3011-3012 (26 décembre 2002 - 8 janvier 2003) de

Tribune libre

La mer,
la mère

Christian de
MITTELWIHR

 

 

 

 

 

 

© Réforme


Le domaine marin est un espace vital primordial pour toute l’humanité : il couvre 71 % de la surface de la Terre, il régit en grande partie le climat et temps quotidien du domaine terrestre, il est le poumon de la Terre, étant un formidable capteur du CO2 atmosphérique. Économiquement, il représente 20 % des apports protéiniques des hommes, une voie de transport aussi ancienne qu’intense (des dizaines de millions de trajets maritimes par an, principalement des cargos et des ferrys), un lieu de villégiature très prisé. Pourtant, si la Mer jouit globalement d’une prise en compte environnementale, c’est qu’elle est... à forte valeur ajoutée pour le tourisme, la pêche, le trafic maritime et le commerce.
Mais, malgré cela, aucun groupe de pression (lobby) ne soutient globalement la Mer, car les statuts des eaux marines internationaux et les droits et usages des zones littorales nationales ne font que soutenir les groupes socio-économiques exploitant directement ou indirectement la Mer, mais aux intérêts divergents. Rien pour la sauvegarde écologique de ce domaine pourtant fondamental à notre survie.

« Seul le court terme est privilegié... »

Deux exemples récents apportent une grosse poignée de sel dans l’usage anthropocentré des eaux marines. D’abord, les restrictions sur les quotas de pêche démontrent la difficulté des pêcheurs de soutenir une politique européenne d’efforts de pêche fondée sur l’évolution à moyen et long terme des stocks de poissons, indispensable selon les analyses scientifiques. L’intérêt économique et financier, souvent sous contrainte de lourds crédits d’équipement, aidée aussi par une image à la Victor-Hugo du marin-pêcheur (de préférence breton), s’est toujours imposé au mépris d’une gestion raisonnable et durable de la Mer par tous les protagonistes.
Ensuite, la dernière marée noire (avant la prochaine) souligne l’absence de cohésion européenne pour aboutir à une réglementation du trafic maritime dans les eaux de l’Union Européenne, l’incapacité d’une réponse écologique par les autorités tant nationales que régionales, en Espagne comme en France, pour ne développer que des moyens pour éliminer au plus vite tout ce qui peut engendrer un manque à gagner. Cela peut aussi s’appliquer aux conséquences des inondations.
Ces moyens conduisent parfois même à une aggravation des effets de l’événement. Seul le court terme est systématiquement privilégié... et voulu par tous les acteurs concernés par une catastrophe économique, comme si aucun ne veut voir au-delà du bout de son nez, quitte à ce que tout recommence l’année suivante ou même avant. C’est à ces comportements irresponsables qu’il faut appliquer la phrase largement galvaudée « plus jamais çà ! ».

Christian de Mittelwihr est directeur de recherches au CNRS.

 Publication reproduite avec l'accord exprès de la Rédaction de Réforme 

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