Numéro 2957 (13-19 décembre 2001)

Téléthon

La recherche mise aux enchères

Nos gestes de générosité et de solidarité ne devraient plus nous dispenser d’une interrogation sur leurs conséquences. Les associations à caractère biomédical, telles l'AFM, collectent chaque année 2 milliards de francs, une somme qu'il faut comparer aux crédits alloués par l'Etat aux laboratoires publics dans lesquels, d’ailleurs, l'essentiel des recherches demandées par ces associations est effectué : 600 millions de francs pour l'ensemble des recherches de l'INSERM (Institut National pour la Santé et la Recherche Médicale) et 300 millions de francs pour le département des Sciences de la Vie du CNRS.

Aussi, les dons représentent plus qu'un simple soutien à des recherches publiques, car ils induisent un déplacement des orientations scientifiques, provoquant des déséquilibres et des dysfonctionnements avec des conséquences directes sur notre santé. En effet, les associations alimentées par des dons publics sont devenues de réels donneurs d'ordre, finissant par obérer d'autres voies de recherche, avec une diminution de l'effort de recherche de l'Etat. En conséquence, une politique nationale de développement scientifique est devenue de plus en plus difficile à cause des sommes colossales injectées dans les laboratoires publics par ces associations, produisant un effet contraire à celui souhaité, d’autant que les orientations scientifiques mises en jeu dépassent de très loin le cadre de ces associations et que les résultats scientifiques ne sont jamais proportionnels aux crédits attribués aux laboratoires.

En l'absence d'évaluation, selon des critères reconnus internationalement, par la communauté scientifique des programmes de recherches induites par les associations biomédicales, il est difficile de discuter des incertitudes, des possibilités de résultats probants et des délais nécessaires. Rien n'empêche de penser qu'au travers du spectaculaire et de l'émotif, les apports possibles de la recherche scientifique ont été surestimés. On en oublie aussi qu’une fois les connaissances acquises, il faut surmonter les difficultés de leur mise en oeuvre, avec les risques d’eugénisme, de discrimination et de manipulation génétique, et de clonage.

Face au tintamarre du Téléthon avec la médiatisation de certains axes de recherche, dont il n'est nullement question de discuter ici l'intérêt, il faut aussi nous interroger sur les moyens, souvent trop modestes, dont disposent beaucoup d'autres laboratoires, menant des recherches à finalité mondiale. A quand des « téléthons » pour les recherches concernant le quotidien, les comportements sociétaux, l’avenir de l’humanité ? Cela ne peut se régler par un simple chèque une fois par an, car ces recherches impliquent directement le comportement citoyen de chacun, et cette contrainte personne n’est encore prêt à l’assumer... Malgré la chute de deux tours, la vie redevient comme avant !

Christian de MITTELWIHR

(Directeur de Recherches au CNRS)

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 Publication reproduite avec l'accord exprès de la Rédaction de Réforme