Numéro 2914 (15-21 février 2001) de

Forum

Les réactions citoyennes face à des événements exceptionnels soulignent combien la société est démunie face à l'incertain, et vain le désir du risque zéro.

Christian de
MITTELWIHR

 

 

 

 

 

 

© Réforme

Face au futur... les incertitudes


Ces réactions donnent la mesure de notre ignorance. En effet, ce qui va arriver, nul ne peut le garantir, en donner une probabilité, ni en connaître les effets. Aussi faut-il admettre et surtout assumer les conséquences de ce qui est indéterminable et imprévisible.

Face à une incertitude, toute décision est déterminée par trois points successifs. D'abord, l'acquisition de l'information (information qui provient en général du scientifique ; elle réduit mais ne supprime pas le risque). Ensuite, le choix entre des valeurs et, enfin, la prise de risques. Prenons comme exemple l'ESB (mieux connu sous l'appellation « vache folle ») : au cours des années 20, les scientifiques avaient déjà découvert les symptômes de la vache folle quand un bovin avait une alimentation carnée. Mais que pèse cette information, après 80 ans, quand les valeurs choisies sont les bénéfices pour les éleveurs, les fabricants de farine... et une viande moins chère pour le consommateur ? Alors la prise de risque est totale à tous les échelons de la collectivité. Dès lors, le citoyen cherche un responsable ailleurs, et la tentation devient facile d'accuser l'éleveur, le fabricant de farine, les scientifiques... Ceci démontre la difficulté de prendre une décision dans un contexte d'incertitude, en plus soumis au lobbying, et les conséquences catastrophiques qui peuvent en découler quand tout ou partie de l'information disponible n'est pas acquise, voire occultée.

En outre, quand la collectivité ne veut pas assumer une incertitude du futur, elle laisse la responsabilité du risque zéro à autrui, généralement au politique qui est contraint d'user de l'utopique et flou principe de précaution, c'est-à-dire qu'il se couvre par des lois et décrets, pris au nom de la collectivité, pour gérer le probable sur la base d'un accord social face à des phénomènes non maîtrisés par l'homme, tout en tentant de ne pas perturber l'économie. L'avis scientifique est souvent recherché pour tenter d'éviter le principe de précaution, mais c'est oublier que cet avis s'appuie sur un état de connaissances qui comportent elles-mêmes des incertitudes et sont toujours révisables - une donnée inscrite au coeur même de la pratique scientifique, ce que découvre petit à petit la société.

Un apprentissage collectif des risques doit se mettre en place, englobant tous les acteurs : citoyens, experts, médias, politiques, lobbies économiques... pour aboutir à une régulation en commun de ces risques, que tout laisse présager comme allant croissant en nombre et importance.

Christian de Mittelwihr est directeur de recherches au CNRS.

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 Publication reproduite avec l'accord exprès de la Rédaction de Réforme