De la place de l'allemand en Alsace

    Mon sourire amusé en lisant la Lettre ouverte à Monsieur Jack Lang (*) doit valoir celui du ministre. Alsacien d'origine, né au début de la dernière guerre, j'ai appris le français à l'école. Alors, il faut bien se rappeler que l'alsacien est un dialecte germanique, comme beaucoup d'autres dans les divers pays de langue allemande. Or, ce dialecte n'est pas une langue, il ne s'écrit pas, et mots et prononciation varient fortement du nord au sud et d'est en ouest, Lorraine comprise : ceci empêche une écriture phonétique, sauf d'usage local très restreint, mais sa « grammaire » est celle de l'allemand (le Hochdeutsch) et sa forme écrite est l'allemand et lui seul. J'ai toujours lu à la maison le journal Les Dernières Nouvelles d'Alsace en allemand !
    Inutile d'épiloguer, on parle en alsacien et on écrit en allemand.
[...] L'allemand est ma langue maternelle comme le dialecte alsacien ; iriez‑vous me dire que je ne suis pas français comme tous les Alsaciens parlant le dialecte ?

Christian de Mittelwihr
Marseille

(*) Article de M. Maurice Pergnier, paru dans le n' 30 de Lettre(s), à propos de l'enseignement de l'allemand en Alsace au lieu de l'alsacien.

Nul ne songerait, naturellement, dans l'esprit de notre rédaction, à dénier à quelqu'un la qualité de Français parce que sa langue maternelle serait l'allemand (ou toute autre langue d'ailleurs). Nous sommes assez nombreux dans les rangs de l'Asselaf à avoir pour bagage, à côté du français, un « ailleurs » linguistique et culturel, pour que cela nous mette à l'abri d'une certaine « monoculture » franco-française.

Cela dit, l'intention du rédacteur de l'article partait plutôt du désir de protéger la diversité des dialectes ‑ l'alsacien au premier chef ‑ et non d'avaliser le risque de leur disparition rampante, devant un modèle culturel d'autant plus puissant qu'il est linguistiquement proche. C'était peut‑être aller trop loin dans le souci d'autrui, tant il est vrai que le dernier mot revient à l'évidence aux Alsaciens. C'est à eux qu'il appartient en effet de dire comment ils pensent leur place dans la société française, place que la connaissance affective et effective de l'allemand ne menace en aucune façon, croyons‑nous. C'est pourquoi nous tenons à vous dire que nous avons apprécié votre réaction de fierté franco‑alsacienne.

Ph. L.